Si la plus ancienne légende de la prédication de l'Évangile dans la
Thiérache remonte à Grimonie et à Preuve, deux jeunes filles converties
qui se réfugièrent dans la Gaule-Belgique et eurent la tête tranchée,
les véritables missionnaires des environs de Saint-Michel furent
irlandais ou écossais. Lorsque Cadroë et Macalin passèrent en France
pour servir Dieu, la comtesse Hérésinde leur indiqua pour lieu de
retraite l'ancienne chapelle fondée par saint Ursmer au VIIe
siècle, qu'elle avait su faire renaître de ses ruines et qui était
devenue un lieu de pèlerinage très fréquenté. Elle fit aussi bâtir une
vaste et magnifique église et construisit un monastère en règle. Après
être restée longtemps dans la gêne, l'abbaye entra ensuite dans la voie
de la prospérité. Elle bénéficia de la présence d'abbés remarquables,
comme Gilbert, si savant qu'il avait été surnommé le Platon de son
siècle, qui la gouverna avec tant de prudence qu'il la rendit en peu de
temps célèbre par la régularité et les revenus. Les libéralités des
seigneurs de Coucy, de Vervins et de Rozoy qui lui abandonnèrent tout ce
qu'ils possédaient sur le territoire lui permirent d'accroître
considérablement son domaine. En 1218, l'abbaye, comme beaucoup
d'autres, se trouva en désaccord avec son avoué, Gilbert de
Saint-Michel, qui suivant l'usage trop ordinaire aux seigneurs revêtus
de ce titre, s'en servait pour tourmenter et opprimer les religieux
qu'il s'était chargé de défendre. Á quinze ans à peine, il fit
assassiner l'abbé Gobert dans l'enceinte même du monastère. Les
religieux lui pardonnèrent, cependant, Jacques, pénitencier du seigneur
pape, devant son sincère repentir, l'ayant absous au prix de quelques
pénitences, comme un jeûne deux fois par semaine pendant quatorze ans. Á
la fin du XIIIe siècle, les religieux eurent des domaines
trop étendus pour suffire à leur culture, même avec le secours des
frères convers. Ils s'associèrent alors une foule de malheureux qui
trouvèrent auprès d'eux une existence moins pénible et plus assurée.
Mais la France se trouva bientôt au milieu des crises qui signalèrent le
règne des premiers Valois et la guerre avec l'Angleterre ; guerre
fatale qui amena l'ennemi dans le Laonnois, le Vermandois et la
Thiérache. L'abbaye vit ses propriétés ravagées, ses grandes fermes
incendiées et dépeuplées, ses bâtiments claustraux ruinés et leurs
habitants dispersés.